GameStop. Il y a encore quelques jours, peu avaient entendu parler de cette société. Aujourd’hui, non seulement elle a fait la une de tous les journaux économiques de la planète, mais son histoire serait sur le point de faire l’objet d’un film sur le modèle du « Big Short ». Il faut dire que le récit de la saga GameStop a tout pour plaire à Hollywood.
GameStop : la leçon de finance des petits boursicoteurs
La saga Gamestop, on peut la résumer un quelques mots : comment des petits actionnaires ont réussit à prendre les plus gros Hedge Funds à leur propre jeu. Ces derniers jours, une cohorte d’internautes ont réussi à faire main basse sur Wall Street, mettant à genoux plusieurs fonds spéculatifs, rendant fous les marchés financiers et conduisant hommes et femmes politiques américains à se positionner sur ce sujet qui a mis le feu sur les réseaux sociaux.
A l’origine de cette affaire, la société GameStop un distributeur de jeux vidéo qui connait de sérieuses difficultés financières depuis plusieurs années. C’est notamment la maison mère de Micromania en France. L’entreprise est loin d’être un modèle de croissance. Pour ces raisons, le groupe est particulièrement ciblé à Wall Street, notamment par des fonds spéculatifs, qui commencent à acheter massivement à découvert. Cela consiste à vendre au prix du jour des actions que l’on a empruntées – et qu’on ne possède donc pas –, en espérant les acheter sur le marché plus tard à un prix inférieur, pour pouvoir les rendre au prêteur en empochant la plus-value au passage. Ce type de pari, il y en a tous les jours à Wall Street.
Sauf que cette fois, un petit grain de sable va venir enrayer la machine. Un groupe de petits boursicoteurs, s’est mis en tête de tenir tête aux grands noms de la finance en achetant massivement le titre GameStop pour faire monter les prix. Parfois même en utilisant les chèques d’allocation Covid versés par le gouvernement américain. Ces « traders du dimanche » ont littéralement créé un mouvement en multipliant les messages sur Redit et en pariant à la hausse.
Les réseaux sociaux en renfort
Avec ses quelques 3 millions d’abonnés, le forum WallStreetBets du site Reddit, où des internautes se vantent de leurs exploits ou, plus souvent, de leurs déboires boursiers a été le principal outil de ce mouvement inédit. Ces boursicoteurs ont repéré que plusieurs grands hedge funds avaient massivement parié sur la baisse de GameStop. Et probablement excessivement, vu la capitalisation boursière et la liquidité limitées de la société. Ces traders ont compris qu’ils pouvaient gagner énormément, et se lever, tel David contre Goliath, face aux plus redoutables des adversaires du monde de la finance : les fonds spéculatifs américains.
Le vendredi 22 janvier, l’action du groupe GameStop monte en flèche avec une hausse de 50 %. Le lundi suivant, 25 janvier, l’action grimpe encore de 18%. Le mardi 26 janvier, l’augmentation est de 93% tandis que le mercredi qui suit, le titre connaît une variation de +135 % ! Si l’on compare avec le niveau des cours de janvier, l’action GameStop aura pris 1200 %.
Les petits investisseurs ont créé un mouvement en multipliant les messages sur Reddit et en pariant sur la hausse de GameStop via des options à court terme. Ces options d’achat font que les courtiers qui les ont vendues aux petits investisseurs ont dû se protéger en achetant l’action. Plus son cours a augmenté, plus les courtiers ont dû acquérir le titre, alimentant sa progression, dans une situation appelée «gamma squeeze» en jargon financier.
Du côté des Hedge Funds, c’est la panique. Face à cette brusque hausse, les fonds qui avaient parié à la baisse sur GameStop se sont vus contraints de racheter le titre pour limiter leurs pertes, provoquant un « short squeeze » (ou « liquidation forcée »), qui a encore fait davantage grimper l’action.
Selon certaines estimations, les fonds d’investissement auraient perdu entre 5 et 6 milliards de dollars dans l’aventure. L’un d’entre eux, Melvin Capital, a dû appeler deux de ses concurrents à l’aide pour qu’ils le renflouent à hauteur de 2,75 milliards de dollars.
Sauve qui peut
Face à ce ras de marée, les milieux de la finance sortent leurs griffes. Ce qui provoque la colère des petits actionnaires. Plusieurs applis et plateformes permettant aux particuliers d’investir en Bourse – telles que Robinhood, Webull ou Interactive Brokers – décident le jeudi 28 janvier de stopper les transactions sur GameStop (et d’autres valeurs prisées par les membres du forum reddit WallStreetBets).
Ils invoqueront pour se justifier leur incapacité à déposer des garanties suffisantes dans les chambres de compensation pour exécuter les ordres de leurs clients. Cette décision a suscité des critiques et des accusations de manipulation du marché de la part d’éminents politiciens et hommes d’affaires de tous les horizons politiques. Recours collectifs poursuites ont été déposées contre Robinhood dans les tribunaux de district des États – Unis pour le district sud de New York et du District Nord de l’Illinois.
La rancœur est particulièrement forte contre Robinhood, la très populaire appli de trading. Le service, qui se présente comme un moyen de démocratiser la Bourse, est accusé de « trahison » sur Reddit et de « protéger les riches » contre les petits investisseurs. Ces derniers soupçonnent, (sans en avoir la preuve), que Robinhood a cédé aux pressions des grands acteurs du marché, qui sont aussi la principale source de rémunération de l’appli, en coupant les transactions sur les titres les plus volatils.
Le bilan de cette bataille rangée est assez révélateur. Les petits investisseurs ont réussi un tour de force. En s’unissant, ils ont pris au piège les fonds spéculatifs en retournant contre eux leurs propres règles du jeu. Sur le seul titre GameStop, les vendeurs à découvert auraient accumulé près de 20 milliards de pertes selon certaines sources.
Les petits investisseurs particuliers ont eu le mérite de prouver qu’il leur était possible de contrer le système. Chose qu’en 2011, le mouvement « Occupy Wall Street » n’était pas parvenu à faire.
Par leur nombre, et en s’organisant sur internet, les épargnants américains, utilisant leurs chèques d’allocation Covid pour acheter des actions, viennent de démontrer qu’ils pouvaient collectivement faire bouger le cours d’un actif dans un sens que Wall Street n’avait pas prévu.