Les actionnaires de Natixis sont en colère. Avant même le 9 février, date à laquelle la société a demandé à Euronext Paris la suspension de son cours, les rumeurs quant à l’avenir de la banque allaient bon train. Les porteurs ont appris alors que la BPCE, la maison-mère de Natixis allait procéder à un rachat d’action au prix de 4 euros. La pilule est dure à avaler pour ceux qui ont acquis ces titres en 2006, lors de son introduction en Bourse, pour 19,55 euros, un prix cinq fois plus élevé que celui qu’on leur propose aujourd’hui.
Natixis entre fatalité et les erreurs de gestion
Fin 2006, l’introduction en Bourse de Natixis avait été un réel succès. 2,8 millions d’investisseurs particuliers avaient en effet acquis des titres pour 19,55 euros, un prix jugé cohérent avec les estimations des analystes de l’époque qui jugeaient ce dossier « tranquille ». Finalement, il ne l’a pas été autant que ça.
Pendant des années, le groupe a dû faire face à d’importantes difficultés et a multiplié les erreurs de management. Affectée par ses choix de gestion, notamment durant la crise des subprimes, l’action Natixis y avait alors perdu près de 95 % de sa valeur, en passant sous le seuil de 1 € en mars 2009, au plus fort de la crise. Les erreurs de gestion, les mauvais choix stratégiques s’accumulent. La société les règle à coup de changement de dirigeants, sans réellement gérer les problèmes.
La banque doit aussi gérer les déboires de son « hedge fund » H20 AM, une société de gestion d’actifs revendiquant son goût pour le risque, détenue majoritairement par la banque française Natixis. Des années durant, H20 AM a fait gagner beaucoup à ceux qui lui confiaient leur argent. Le fonds H20 Multibonds revendiquerait ainsi un gain de 485 % entre 2012 et 2019. Mais la « machine à gagner » a fini par s’enrayer et est devenue une épine dans le pied de l’établissement financier. Plusieurs dizaines de milliers d’épargnants ont vu leurs économies bloquées sur les fonds que ce hedge fund à la française a dû suspendre le 28 août, après intervention de l’Autorité des marchés financiers (AMF).L’image de Natixis en prend un coup.
Natixis doit aussi encaisser les dégâts provoqués par la crise sanitaire. Si la société a sorti la tête de l’eau au troisième trimestre, avec un résultat net de 39 millions d’euros, ses bénéfices restent inférieurs de 91% à ceux enregistrés un an plus tôt. Pour la BPCE, la maison mère, il est temps d’agir. Du coup, Laurent Mignon, président du directoire de la BPCE, déploie les grands moyens pour « replacer la banque sur une trajectoire de croissance ». Mesures d’économies de 350 millions d’euros à horizon 2024, annonce d’un prochain plan stratégique au printemps 2021 et décision de retirer l’action de la cote.
Les conseillers bancaires en première ligne
Pour sortir sa filiale Natixis d’Euronext Paris, la BPCE doit réussir à convaincre ses petits actionnaires de souscrire à une offre de 4 euros par action, très loin des 19,55 euros de son cours d’introduction et en dessous de la dernière cotation du titre à 4,13 euros. Pour leur faire avaler la pilule, la BPCE a minutieusement préparé pour les conseillers de ses agences Banque Populaire et Caisse d’Epargne, un document mettant en avant les éléments de langage à utiliser pour répondre aux questions de leurs clients. Ce sont eux qui sont en première ligne pour les convaincre d’accepter de vendre leurs titres pour 4 euros alors qu’on leur conseillait de les acheter en 2006 pour près de 5 fois ce prix.
Plusieurs questions sont imaginées, ainsi que le révèle Le Monde dans son édition du 3 mars : « S’agit-il d’une opération de sauvetage de Natixis ? », ou encore, « J’ai investi 100 euros en 2006, que va-t-il me rester? ». Il est recommandé aux conseillers de rester dans le schéma élaboré par la banque avec un argumentaire bien préparé : « Selon nous, le contexte économique et financier incertain, les niveaux de taux durablement bas (…) continueront à affecter les valorisations des banques européennes dans les prochaines années ». Oui, rappeler le difficile contexte économique ne mange pas de pain et est toujours payant.
Second argument proposé dans le document internet: les autres banques ne s’en sortent pas mieux. Ainsi est-il conseillé de dire : « un actionnaire de Natixis ayant investi 100 euros en décembre 2006, puis souscrit à l’augmentation de capital de 2008 ressortira en 2021, en apportant ses titres, avec une valeur en poche de 79 euros, après prise en compte des dividendes ». « En comparaison, un investissement de 100 euros effectué le même jour en actions Crédit Agricole lui permet de ressortir avec une valeur de 55 euros aujourd’hui, et, en actions Société générale, de ressortir à 26 euros ». On remarque l’élégance de la démarche et on imagine que la concurrence appréciera! Mais dans les difficultés, il est toujours utile de rappeler que l’on fait mieux que les autres.
Les actionnaires dégoutés
Les actionnaires ne semblent avoir que peu de marge de manœuvre en dehors de crier au scandale. Ils ne décolèrent pas depuis l’annonce de BPCE de vouloir mettre la main sur leurs titres. Ce n’est pas tant le prix proposé pour le rachat de l’action qui est évoqué par les petits porteurs (bien qu’il soit en dessous du dernier cours de clôture de 4,13€) mais les conditions de leurs achats en 2006. Les titres étaient fortement conseillés dans toutes les agences, chacun en prenait pour soi, pour ses enfants. On a vendu des actions Natixis dans tout le réseau Banque Populaire – Caisse d’Epargne en expliquant aux clients que c’était un placement sûr, un placement de « père de famille. Aujourd’hui, ils crient à l’escroquerie sur les réseaux sociaux.
« Quand je repense à l’argumentation développée par la BPCE en 2007 pour vendre l’action Natixis au prix de 19€55, je suis je suis écœuré. Il n’y a pas très longtemps, c’étaient les banques qui étaient victimes de hold-up. Aujourd’hui ce sont les clients qui se font dépouiller par leur banque », explique un actionnaire sur un forum. « L’idée d’être escroqué par un groupuscule de véreux, corrompus, et INCOMPETENTS… est insupportable et inacceptable. Mais que fait le pouvoir devant un tel scandale », demande un autre.
Plus de 1 600 actionnaires individuels ont pour le moment signé une pétition adressée à Bruno Le Maire et l’Autorité des marchés financiers. Il est peu probable que cette mobilisation fasse bouger les choses. Certains n’y croient plus. Si la bourse est sensée être le placement le plus rentable sur le long terme, l’affaire Natixis apporte la preuve que les actionnaires les plus fidèles ne sont pas toujours les mieux récompensés.