Pour la première fois en France, des bitcoins ont été proposés lors d’une vente aux enchères publique. 611 bitcoins, soit une valeur de plus de 28 millions d’euros, ont été mis en vente par son détenteur, un vendeur bien particulier. Il s’agit en effet de l’Etat, qui liquide ici une importante saisie judiciaire. 1500 personnes, des particuliers et des entreprises, se sont inscrites à cette vente historique, la première jamais réalisée en France. Du fait de son originalité, cet événement sera observé de très près par de nombreux investisseurs, qu’ils s’intéressent aux cryptomonnaies ou non.
Quand l’état récupère des bitcoins volés
Officiellement, personne n’est censé savoir d’où viennent ces bitcoins. Mais on suppose qu’ils ont pour origine l’une des plus importantes affaires de cybercriminalité. Selon le site d’information Numirama, la quasi-totalité des bitcoins proposés sont liés à l’affaire Gatehub. En effet, l’exception d’un bitcoin saisi dans le cadre d’une confiscation devant une juridiction du sud de la France, le solde restant, 610, correspond exactement au nombre de bitcoins saisis par la justice française dans cette affaire qui remonte à juin 2019. Gatehub, une plateforme installée à Londres subit à cette époque un incroyable piratage qui avait abouti au détournement de 23 millions de XRP (environ 10 millions de dollars au moment des faits). Au bout de quelques mois, la piste est remontée et l’enquête se termine par plusieurs mises en examen de hackers français. Le piratage leur aurait permis d’acheter des bitcoins, qui se sont retrouvés aux mains de la justice française, mais aussi des voitures de luxe, une démarche, il est vrai, pas des plus discrètes quand on vient de faire un casse.
C’est l’Agrasc, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui a récupéré ces 611 bitcoins.
« La saisie judiciaire est permise depuis 2010, explique auprès du Parisien Renaud Alméras, avocat et spécialiste des saisies et confiscations pénales. Avant tout jugement, il est possible pour l’Etat, dès le début de l’enquête, de saisir des biens afin de s’assurer qu’ils ne disparaissent pas et que si mesures de confiscation il y a, elles puissent être exécutées. »
Des bitcoins qui appartiennent encore aux accusés
L’instruction du dossier Gatehub est loin d’être close, et même en détention ou mis en examen, ses auteurs demeurent présumés innocents. L’information judiciaire étant toujours en cours, ces bitcoins sont donc toujours la propriété des suspects de l’affaire. Si la vente, alors que le dossier judiciaire n’est pas bouclé, peut surprendre, elle s’explique selon toute vraisemblance par le cours, très haut actuellement, de la cryptomonnaie.
Concrètement, les mis en cause restent propriétaires de leurs biens, mais n’ont pas le droit d’en profiter. L’Etat peut même les vendre, à deux conditions : si ces biens ne sont plus utiles à l’enquête et si les garder peut en faire baisser la valeur.
Si les mis en cause sont condamnés, et qu’il y a une mesure de confiscation prononcée par le tribunal, l’argent de la vente reviendra à l’Etat qui, le cas échéant, pourra reverser des dommages-intérêts aux victimes. Dans le cas contraire, s’ils sont jugés innocents, ce sont eux qui récupèreront le pactole. En attendant le jugement, l’argent attendra sur un compte sous séquestre à la Caisse des dépôts et consignations.
Si c’est une première en France, des ventes aux enchères de bitcoin saisis ont déjà eu lieu aux Etats-Unis, également dans des affaires de cybercriminalité. En 2014, le United States Marshals Service (USMS), à savoir l’agence de police fédérale du département de la justice, a vendu 29.656 bitcoins saisis à la fermeture de Silk Road, l’ex-supermarché de la drogue sur Internet. A l’époque, le bitcoin s’échangeait à autour de 500 dollars. La même année, l’USMS a ensuite organisé une vente judiciaire de 50.000 bitcoins, ce qu’elle refera également en 2015.
Une vente aux enchères en ligne uniquement
La vente aux enchères se tient aujourd’hui toute la journée, en ligne. Les 611 bitcoins ont été répartis en 478 lots, de 0,11 bitcoin pour le plus petit lot à 20 bitcoins pour le plus gros. La mise à prix n’a pas encore été déterminée. « Elle le sera au fil de la vente, en fonction de la valeur d’échange », expliquait avant la vente Ghislaine Kapandji, la commissaire-priseuse chargée de cette vente inédite. Les enchères devraient commencer à 50-60 % du cours, un seuil qui pourrait être adapté « en fonction du déroulement de la vente ». « J’ai voulu que cette vente puisse intéresser tout le monde, du particulier qui souhaite acquérir un petit morceau de bitcoin à l’investisseur capable de débourser des sommes importantes pour des lots de plusieurs bitcoins », expliquait alors Ghislaine Kapandji.
Afin de faire le « tri » parmi les enchérisseurs, une préinscription à la vente était obligatoire, permise jusqu’au 13 mars. Il était notamment demandé un dépôt de garantie de 1500 euros pour les plus petits lots et 10 000 euros pour les plus gros. Au total, 1600 personnes se sont inscrites, bien plus que pour la plupart des ventes traditionnelles. On y retrouve essentiellement des résidents français, mais aussi des Belges et des Britanniques. « Nous avons des acquéreurs potentiels qui veulent acheter de la cryptomonnaie, mais qui cherchent dans la vente aux enchères un côté plus rassurant qu’acheter sur Internet », explique la commissaire-priseuse.
Dès la fin de la vente, les acquéreurs devront payer et transmettre toutes les informations afin de recevoir leur lot. Ils devraient alors être transférés dans un délai maximum de 48 heures, ce qui au regard de l’extrême volatilité de la cryptomonnaie qui a dépassé les 60 000 dollars le week end dernier, est déjà beaucoup.
Cafouillage lors des premières enchères
Pourra-ton faire de bonnes affaires aujourd’hui lors de cette vente ? Difficile de répondre à cette question. En début d’après midi, on notait déjà un « léger » cafouillage. Lors de la vente du premier lot, un acheteur a déboursé 26 800 euros pour 0,11 bitcoin. Alors qu’il en valait 5 180 euros, selon le cours actuel. Ceci est donc loin d’être une bonne affaire. Le premier lot de bitcoins mis aux enchères en France ce 17 mars 2021 a été vendu bien plus cher que son cours actuel : « Valorisé 5 180 euros (pour 0,11 bitcoin), il a été vendu pour… 26 800 euros, soit cinq fois plus. Son prix de départ était fixé à 2 500 euros. Les enchères ont rapidement grimpé. « Je pense que je n’ai pas été claire sur la désignation du lot », a déclaré la commissaire-priseuse qui a décidé de recommencer les enchères, imaginant que les acheteurs pensaient acquérir 1 bitcoin (qui vaut actuellement 47 000 euros), et non 0,11 bitcoin. Le message n’est malheureusement pas passé puisque les enchères ont de nouveau grimpé pour se terminer une nouvelle fois à 26 800 euros. Les ventes suivantes ont été cependant beaucoup plus raisonnables.
En dépit de la sécurité qu’offre cette vente très encadrée, pour autant, elle n’est pas sans risque. Il pourrait y avoir une décote de 5 à 10 % du prix, du fait du délai d’attente pour disposer des bitcoins. On parle en effet de 48 heures avant d’en prendre possession, et en 48 heures, bien des choses peuvent se passer sur le marché.